Soninke.tv – l’ouvrage dont la sortie est prévue en février 2020 est très attendu. Car, il est consacré à un homme, Diaman Bathilly, qui est une figure marquante de la vie et de l’histoire de Bakel. Enseignant de profession, doyen Bathily est un homme multidimensionnel qui a marqué beaucoup de générations d’apprenants. C’est pour immortaliser l’homme et son œuvre que les auteurs, Seifou Laye Dramé et Saliou Diallo, originaires de Bakel et établis en France, ont pris la plume pour lui consacrer ce livre dont l’idée est émise par l’Association des Anciens Élèves de l’école régionale de Bakel, une école créée en 1902 et qui porte aujourd’hui le nom d’Ibrahima Malal Diaman Bathily (IMDB). Saliou Diallo, co-auteur du livre, a effectué son cursus scolaire dans cette école puis au Collège et au Lycée Waoundé N’diaye de Bakel avant de s’inscrire à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Ce jeune universitaire a soutenu sa thèse de doctorat en histoire, en 2016, à l’Université de Poitiers en France. Actuellement, il est chercheur associé au Laboratoire Migrinter (Poitiers) et professeur d’histoire-géographie à l’Académie de Créteil en France. Parallèlement, il mène une vie associative très active en tant que chargé de communication de l’Association des Jeunes de Bakel en France et président de la commission scientifique de l’Association des Anciens Élèves de l’École Régionale de Bakel.
Entretien …..
– Vous avez coécrit, avec Seifou Laye Dramé, un livre sur Diaman Bathily. A quand vous est venue l’idée d’écrire sur lui ?
Saliou Diallo – La rédaction de ce texte sur le Doyen Diaman Bathily (1929-2019) remonte au jour du 26 janvier 2019. C’était au cours d’une rencontre organisée à Noisy-Le-Grand (région parisienne) par l’Association des Anciens Élèves de l’école régionale de Bakel (une école créée en 1902 et dénommée aujourd’hui école Ibrahima Malal Diaman Bathily). En effet, la Commission scientifique de ladite association que j’ai le privilège de diriger a été saisie officiellement pour rédiger un manuscrit sur la vie, l’œuvre et les enseignements du Doyen Bathily. Ce projet tenait à cœur à toute l’assistance. Après six mois de travail acharné, au mois de juillet 2019, le manuscrit voit le jour. Ce temps record dans l’écriture pourrait étonner plus d’un. Mais je dois préciser une chose. Certes la rédaction a duré quelques mois, mais un travail de collecte d’informations a été effectué depuis 2008. Ce qui a facilité la suite. Ainsi, loin d’être une entreprise individuelle, ce texte est le résultat d’un travail collectif fait à la fois d’échanges, de rencontres et de contradictions. Hélas, nous regrettons tous que le Doyen n’ait pas assisté à l’aboutissement de ce document. Car le 4 février 2019, son séjour terrestre prend fin à Tambacounda (ville située à l’Est du Sénégal où il a été hospitalité avant d’être enterré à Madina Gounass, en Haute-Cassamance). Une triste nouvelle. Mais nous nous en remettons à Dieu, le Tout Puissant et prions pour le repos de son âme.
Diaman Bathily … « un homme humble, ouvert d’esprit et très pieux »
– Pourquoi vous vous êtes intéressés à Diaman Bathily ?
Saliou Diallo : Le choix porté sur le Doyen Bathily repose sur deux principales raisons. La première est, il faut l’avouer, d’ordre affectif. En effet, ma rencontre avec Diaman Bathily remonte en 2008. C’était l’année où je préparais mon mémoire de maitrise intitulé « Bakel (Sénégal) : escale de traite coloniale (1886-1945) », que j’ai soutenu en 2009, sous la direction du professeur Abdoulaye Bathily. Durant mes enquêtes de terrain à Bakel, Diaman Bathily a été un interlocuteur privilégié pour moi. En l’approchant, j’ai été frappé par son honnêteté intellectuelle, doublée d’un maniement inégalé de la langue de Molière. Ce qui explique toute l’admiration et l’amour que je lui porte. Depuis lors, je n’ai jamais cessé de le fréquenter soit pour ma recherche soit pour lui passer le bonjour à chaque fois que je séjourne à Bakel. J’ai fréquenté un homme humble, ouvert d’esprit et très pieux. À distance, nous parlions fréquemment au téléphone. Il me donnait à chaque fois le conseil suivant : « Il faut toujours mettre à l’écrit tout ce qui vous passe par la tête. Écrivez, écrivez, écrivez !».La deuxième raison est scientifique. La vie de Diaman Bathily est intéressante pour l’historien que je suis. Les gens connaissent plus son père Ibrahima Malal Diaman Bathily, ancien chef de canton du guoye inférieur, mort d’ailleurs dans des conditions tragiques en 1947. Pourtant comme son père, je trouve qu’il est également une figure historique essentielle du département de Bakel. C’est la raison pour laquelle j’ai consacré un paragraphe sur lui dans la troisième partie de ma thèse. Dans ce manuscrit que j’ai écrit avec Seifou Laye, il s’agit aussi pour nous de dépasser l’aspect éducatif du parcours du Doyen pour englober le personnage dans sa totalité. À l’issue de nos enquêtes orales et recherches, cette démarche a été payante. Son rôle de directeur d’école est connu de tous. Mais d’autres aspects de sa vie le sont moins. Nous sommes amenés à la conclusion que ce personnage incarne véritablement la figure de l’universaliste. Dès lors, passer sous silence son parcours sans le fixer par l’écrit, « ce serait commettre un crime contre la science et contre l’esprit » pour reprendre une expression de Marcel Cardaire à propos de Tierno Bocar Tall (A. H. Bâ, 1980 : 9). C’est un devoir de mémoire à l’endroit de la postérité.
« Il faut toujours mettre à l’écrit tout ce qui vous passe par la tête. Écrivez, écrivez, écrivez !»
– Faites-nous un résumé du contenu de l’ouvrage ?
Saliou Diallo : Je ne pourrais dire mieux que le résumé que nous avons collectivement adopté au sein du bureau de l’Association des Anciens Élèves d’IMDB qui est le suivant : « Ce manuscrit, consacré au Doyen Diaman Bathily (1929-2019), n’a pas une visée scientifique encore moins universitaire. En retraçant quelques aspects de la vie de ce sage Bathily, les auteurs avaient pour simple objectif de rendre un hommage bien mérité à un homme qu’ils ont rencontré et fréquenté au cours de leurs recherches et au quotidien à Bakel, à Dakar et à Médina Gounass (Sénégal), cité religieuse où le Doyen, comme l’appellent affectueusement ses anciens élèves, repose désormais en paix. Des origines familiales, sa trajectoire scolaire, son parcours d’enseignant, son expérience de directeur d’école, son engagement associatif et sa discrète et simple vie spirituelle jusqu’aux dernières années de sa vie, les auteurs ont passé en revue la trajectoire historique du Doyen Bathily afin d’offrir au public un texte utile sur ce grand serviteur de l’éducation nationale sénégalaise, voire de l’Humanité. »
– Faites nous une présentation complète de l’œuvre
– Saliou Diallo : Notre document comporte 35 pages. Il est divisé en plusieurs sous-parties. Nous avons abordé au total six points : ses origines familiales, son parcours scolaire, sa fonction d’enseignant et de directeur d’école, son engagement associatif, sa vie spirituelle et les dernières années de sa vie. Nous laissons au lecteur la curiosité de découvrir en détails ces différents points énumérés. Je dois dire que « graver » la vie de Diaman Bathily dans ce modeste manuscrit est une entreprise énorme. La vie du Doyen est tellement intéressante qu’elle ne peut se résumer en ces quelques pages. Notre souhait est de lui consacrer un jour, si Dieu nous prête vie et santé, un document plus exhaustif. Par ailleurs, en ce concerne l’édition, c’est plus problématique. Lorsque nous avons terminé la rédaction de ce manuscrit, nous étions dans l’hésitation. Faut-il le soumettre à une maison d’édition, si petite soit-elle, comme cela se fait classiquement ou faut-il faire un tirage directement et le soumettre au public sans attendre rien au retour ? En réalité, nous ne voulons pas mettre en avant l’aspect commercial. Comme il est précisé dans le résumé, l’objectif est de rendre un hommage bien mérité à ce grand homme qui a tout donné à son terroir sans rien attendre au retour. Nous ne voulons pas déroger au respect de la mémoire du défunt en insistant moins sur des histoires lucratives. Outre-tombe, le Doyen lui-même ne serait pas fier. Finalement, les membres de l’Association ont décidé de faire d’abord un premier tirage au mois de février 2020 (anniversaire de la première année du décès de Diaman). Cette question n’est pas totalement résolue.
– Comment les lecteurs qui désirent le lire pourront-ils se le procurer ?
Saliou Diallo : Je suis frustré de vous dire que les lecteurs doivent encore patienter. À notre niveau, le travail est bouclé. Notre mission, Seifou Laye et moi, était de rédiger le texte. L’édition, le tirage et la commercialisation sont à la charge de l’Association. À ce stade, on se situe dans la phase de publicité du manuscrit. C’est un travail collectif. Et comme tout travail collectif, les étapes sont différentes. Ce qui est certain, le manuscrit est prêt. Les lecteurs pourront pour l’instant se contenter du résumé que j’ai publié sur ma page Facebook.
– Le département de Bakel a connu d’autres figures comme Mamadou Lamine Dramé et certainement d’autres qui ne sont pas connus du grand public. Envisagez-vous de faire un travail sur ces éminentes personnes là aussi ?
Saliou Diallo : Vous avez raison. Il y a effectivement un décalage profond entre le rôle essentiel que des figures du département de Bakel comme Mamadou Lamine Dramé (sur qui j’ai consacré un chapitre dans ma thèse)ont joué dans l’histoire et la place marginale qui leur est accordée dans la mémoire collective, dans l’historiographie sénégalaise, dans l’espace médiatique et chez les décideurs politiques. Cela est, il faut dire, injuste. Car ces personnages ont sacrifié leur vie pour la cause commune. Ils se sont battus pour la souveraineté et la dignité du département de Bakel.
Il y a effectivement un décalage profond entre le rôle essentiel que des figures du département de Bakel comme Mamadou Lamine Dramé (…) ont joué dans l’histoire et la place marginale qui leur est accordée dans la mémoire collective
À mon humble avis, cette méconnaissance résulte de deux raisons principales. La première raison est relative à la situation de marginalité (dans tous les sens) du département de Bakel. C’est le vrai problème. Au Sénégal, on s’intéresse peu aux régions situées à l’Est aussi bien quand il s’agit du passé que du présent. Pourtant, il s’est passé et se passe encore beaucoup de choses positives. La deuxième raison est liée au fait que les populations aient participé elles-mêmes à accentuer cette marginalité. En se plaçant à la touche au moment des prises de décisions politiques nationales et locales, et en optant pour l’essentiel à la migration, elles laissent le terrain libre à d’autres décideurs. Les choix et les orientations quirésultent de ces politiques publiques ne sont que la conséquence de cette faiblesse d’engagement et d’initiative.
Néanmoins, il ne faut pas tomber dans un fatalisme aveuglant. Je reste confiant et optimiste pour l’avenir. Car de plus en plus de jeunes s’intéressent scientifiquement à leurs localités.Je connais beaucoup d’étudiants en Master et en Doctorat qui travaillent sur des sujets en lien avec la situation du département de Bakel, que cela soit en histoire, en géographie, en droit, en sociologie, en archéologie, en sciences exactes, en médecine, en sciences économiques, etc. Cette production scientifique doit être visible et valorisée. Par ailleurs, d’autres acteurs politiques, économiques, culturels, sociaux s’engagent également de leur côté pour une meilleure connaissance et un développement possible du département de Bakel.Je pense notamment à la Convention des Cadres du Département de Bakel. C’est en agissant tous ensemble qu’il sera possible de sortir le département de Bakel des « cendres de l’oubli » pour reprendre l’expression du regretté Ibrahima Malal Diaman Bathily, c’est-à-dire connaître et assumer son passé, vivre dans la dignité du présent et préparer l’avenir. En ce qui me concerne personnellement, depuis 2008, j’effectue des recherches sur l’histoire de la ville de Bakel des origines jusqu’à nos jours. Je ne ménage aucune piste de recherche qui me permettra de faire connaître encore mieux mon terroir.
Interview réalisée par Mamadou Sakiné